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Image de Scott Webb

Futurs (in)désirables

5' de lecture - publié le 25 janvier 2023

Lorsque l'équipe d’Impala a dû décider d’approuver ou non la publication de projets comme The Line en Arabie Saoudite (un bâtiment de 170km de long qui fait office de ville), les appartements de 3m2 appelés Goshiwon en Corée ou encore Homed, des refuges à bas coût pour les sans-abri au Canada, nous nous sommes trouvés face à la question des futurs (in)désirables. Est-ce qu’une idée que nous jugeons comme négative pour l’avenir doit être publiée sur la plateforme ? Pourquoi la jugeons-nous comme indésirable ? Et d’ailleurs un futur désirable, c’est quoi ?

Pour définir ce qu’est un futur désirable, ces trois questions peuvent servir de guide : 

  • quels sont les futurs que nous voulons ?

  • vers où les tendances actuelles nous mènent-elles ?

  • comment nous transformer vers un futur désirable ?[i] 

 

Le futur que nous voulons est celui d’une société juste, dans un monde fini. Cela complique les métiers de l’immobilier qui avaient jusque-là deux objectifs : donner accès à des bâtiments de qualité, dans des conditions économiques réalistes pour tous les acteurs (une société juste). Il faut désormais composer avec un troisième objectif : maîtriser les impacts environnementaux des projets (dans un monde fini)[ii].

Vers où les tendances actuelles nous mènent-elles ?

Le dernier rapport du GIEC[iii] analyse en profondeur les tendances actuelles, et propose des idées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux bâtiments dans le monde. D’après cette publication, en 2019 les bâtiments sont responsables de 21% des émissions de GES[iv].

 

Ces émissions sont principalement dues aux cinq facteurs suivants:

  • L’augmentation de la population, surtout dans les pays en développement ;

  • L’augmentation de la surface de plancher construite par personne, tirée par l’augmentation de la taille des logements par rapport à la taille des foyers, surtout dans les pays développés ;

  • L’inefficacité des nouveaux bâtiments, surtout dans les pays en développement, et le faible rythme des rénovations qui sont, de plus, peu ambitieuses dans les pays développés ;

  • L’augmentation en utilisation, nombre et taille des équipements (notamment outils de communication, et climatisation), tirée par l’augmentation générale du niveau de vie (revenus) ;

  • Le recours à de l'électricité et de la chaleur produites par des énergies fossiles qui ralentit la décarbonation de la fourniture énergétique.

Ces sujets sont les principaux axes sur lesquels nous devons travailler en tant qu’acteurs de l’immobilier. Comment pouvons-nous faire ? Le GIEC recommande de travailler d’abord sur la sobriété, c’est à dire arrêter de construire trop de mètres carrés par personne. Ensuite l’efficacité, c’est-à-dire rénover plus et de manière plus ambitieuse d’une part, et arrêter de suréquiper les bâtiments d’autre part. Enfin, le recours aux énergies renouvelables. 

L’ordre de ces mesures est important. Ce n’est en effet pas avec des panneaux solaires en toiture que l’on compense l’impact de trois niveaux de sous-sol et d’une ventilation double flux. De la même manière qu’on ne compense pas l’abattage d’un cèdre centenaire en plantant un frêne tout droit sorti de la pépinière.

Comment nous transformer vers un futur désirable ?

Un outil que nous pouvons mieux utiliser pour repenser la façon dont nous concevons les projets immobiliers est celui du scenario.

En 2022, un développeur immobilier face à un terrain constructible va commencer par éplucher les réglementations pour en conclure ce qu’il est possible de réaliser. Il imagine ensuite un bon projet sur la base de ce qui est autorisé et des conditions de rentabilité. Le résultat final (scenario) arrive à la fin et est dépendant des tendances existantes que sont les réglementations et les conditions de rentabilité. Dans ce cas, nous construisons en nous basant sur le passé, nous ne regardons pas vers l'avenir.

Pour faire face aux défis imposés par le changement climatique, des innovateurs ont commencé à placer le scenario au début de leur travail ces dix dernières années.

Si le développeur met le futur désirable (scenario) au départ de son travail, il imagine d’abord le projet idéal à construire sur la parcelle compte tenu de son contexte local. Partant de son scénario, il adapte le projet pour assurer sa rentabilité, et travaille en collaboration avec les pouvoirs publics pour se conformer aux règles ou les adapter. Il y a fort à parier que le projet final sera bien différent de ce qui serait sorti avec une approche traditionnelle.

Les pouvoirs publics sont aujourd’hui tenus par leur population de prendre le virage écologique obligatoire pour assurer un futur décent aux plus jeunes d’aujourd’hui. Ils ont besoin de bonnes idées pour les aider à atteindre leurs objectifs environnementaux, et d’acteurs de confiance pour les accompagner dans leur mise en œuvre. A nous de choisir sur nous voulons nous positionner comme acteurs proactifs du changement, ou rester dans la réaction à un changement subi.

Le GIEC signale dans son rapport sur les bâtiments que les réglementations énergétiques sont l’instrument principal pour mener à la réduction des émissions des bâtiments neufs et existants. Ces réglementations vont certainement se durcir dans les années à venir, nous avons donc meilleur temps d'être à la pointe sur le sujet pour ne pas nous laisser surprendre. Qu’est-ce qui empêcherait d’ailleurs un règlement d’urbanisme de fixer les tailles maximales des logements pour assurer la sobriété des constructions ?

Sources

[i] Bai X. et al, “Plausible and desirable futures in the Anthropocene: A new research agenda”, in Global Environmental Change, n°39, 2016, pp. 351-362.

[ii] Groupe RBR-T du Plan Bâtiment Durable, « Vers une sobriété immobilière et solidaire. Les voies d’une meilleure utilisation du parc de bâtiments », 2022.

[iii] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/downloads/report/IPCC_AR6_WGIII_Chapter09.pdf

[iv] Les chercheurs du GIEC ont évalué les émissions de GES liées aux bâtiments sur la base du cadre de travail baptisé “SER: Sufficiency, Efficiency, Renewables”. En français cela se traduit par “Sobriété, Efficacité, Renouvelables”. Les axes de ce cadre permettent de réduire les émissions de GES de trois façons différentes et complémentaires :

  • La sobriété limite les émissions en réduisant la demande en énergie des bâtiments et des biens sur tout leur cycle de vie ;

  • L’efficacité limite les émissions en permettant de produire plus d'énergie et de biens avec moins de matière première ;

  • Les énergies renouvelables limitent les émissions en réduisant l’utilisation de carbone pour fournir l'énergie demandée.

Ce cadre a été conçu à la fin des années 1990 par l’ONG française Negawatt. https://negawatt.org/IMG/pdf/scenario-negawatt_2017-2050_essentiel-4pages.pdf

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